Quand les estrades étaient vides : Réflexions sur l’abandon et la résilience

Il y a des moments dans notre vie d’adulte où certaines pièces du puzzle de notre enfance tombent soudainement en place. Pour moi, ça s’est passé quand je suis devenue belle-mère.

L’Ontario et la présence d’un beau-père

Au début, j’avais un beau-père présent dans ma vie en Ontario. Cette figure masculine qui faisait partie de mon quotidien, qui m’accompagnait, qui était là. J’avais une certaine stabilité, un cadre familial qui me donnait des repères.

Mais ça n’a pas duré.

Le retour au Québec et l’abandon

Du jour au lendemain, retour au Québec. Fini le beau-père présent. Nouveau territoire, nouvelles règles, nouveau système scolaire. J’étais complètement déstabilisée, arrachée à cette stabilité que j’avais connue. Pourtant, on m’avait dit qu’on “revenait à la maison”,

Et j’ai failli doubler ma troisième année. Les lettres attachées, passer de l’anglais au français et la rupture de ma famille telle que je la connaissais, ça fessait. 

Ma mère n’a rien fait pour m’aider. Pas de tutorat, pas de rencontre avec les profs, pas même une conversation pour comprendre ce qui se passait. J’étais livrée à moi-même pour décoder une réalité que je ne comprenais pas. Mes grand-parents devaient suivre la loi de ma mère. Donc, pas trop d’explications claires sur notre retour et que je n’avais plus mon “ daddy” pour m’aider et me protéger de ma mère. 

Le basketball et les estrades vides

C’est là que le basketball est entré dans ma vie. Je me souviens de mes parties. J’étais bonne, je me sentais validée sur ce terrain. C’était mon espace à moi, où je brillais, où je me sentais capable. Mais quand je regarde en arrière maintenant, je réalise que les estrades étaient toujours vides. J’étais grande alors, on m’avait prise un an d’avance sur l’équipe.

Ce n’était pas du soutien qu’on m’offrait – c’était du gardiennage déguisé en activité sportive. Ma mère avait trouvé un endroit sûr où me « parquer » quelques heures, où j’étais encadrée par d’autres adultes. Le sport n’était pas là pour m’accompagner dans mon développement, pour célébrer mes progrès ou pour me donner des outils de vie. C’était juste… pratique. L’école a probablement accepté cet arrangement pour me garder à l’oeil, quelques semaines plus tard commençaient les plaintes à la DPJ pour violence chez moi. 

Personne ne m’expliquait les choses

C’est ça le plus dur quand j’y repense maintenant : personne ne m’expliquait les choses. Pourquoi on était revenues au Québec. Pourquoi mon beau-père n’était plus là. Pourquoi l’école était différente. Comment m’adapter à tout ça.

J’ai dû développer une résilience que je n’aurais jamais dû avoir à bâtir si jeune. J’ai appris à observer les autres familles pour comprendre ce qui était « normal ». J’ai cherché mes propres repères, créé mes propres rituels de stabilité. Je suis devenue experte dans l’art de me débrouiller seule.

Mais à quel prix ? J’ai grandi avec ce sentiment constant d’abandon, cette impression d’être toujours un peu à côté de la plaque parce que personne ne m’avait donné le mode d’emploi de la vie. Et avec le sentiment que l’école n’était plus une place certaine pour moi, car les plaintes venaient d’eux, mais avaient empiré ma vie.  Et que ma famille me disait que ce qui se passait chez moi, c’était normal.

La révélation de l’adulte que je suis 

Et puis, je suis devenue belle-mère.

C’est là que tout a cliqué. Ces enfants me posent des questions. Plein de questions. Sur tout et sur rien. Sur leur réalité compliquée de famille recomposée, sur les règles différentes entre les maisons, sur leurs émotions contradictoires.

Et moi, je suis heureuse de les accompagner là-dedans. Tellement heureuse.

Parce que je vois dans leurs yeux la même confusion que j’avais. Je reconnais ce besoin désespéré de comprendre, de donner un sens à ce qui leur arrive. Et contrairement à ce qui m’est arrivé, eux, ils ont le droit de ne pas comprendre. Ils ont le droit à des explications.

Ce que j’ai compris

À travers eux, j’ai réalisé l’ampleur de ce qui m’avait manqué. Ce n’était pas juste l’absence physique – c’était l’absence de sens, de contexte, d’accompagnement émotionnel. Après avoir goûté à la présence d’un beau-père en Ontario, me retrouver livrée à moi-même au Québec était d’autant plus brutal.

Mais j’ai aussi compris quelque chose de magnifique : cette expérience d’abandon m’a donné une capacité unique d’accompagnement. Je sais exactement ce que c’est de se sentir perdue. Je connais par cœur ce regard d’enfant qui cherche des réponses.

Quand mes beaux-enfants viennent me voir avec leurs questions, ce n’est pas juste eux que j’aide – c’est aussi cette petite fille en moi qui avait besoin qu’on lui explique les choses. C’est réparateur d’une façon que je n’aurais jamais imaginée.

Pour vous qui me lisez

Si vous vous reconnaissez dans cette histoire, sachez que vous n’êtes pas seules. Beaucoup d’entre nous ont dû « aller chercher du normal » dans leur vie, créer leur propre définition de ce qu’est une famille aimante et présente.

Cette résilience qu’on a développée, elle a un sens. Elle peut devenir notre force, notre façon unique de comprendre et d’accompagner les autres.

Vos expériences d’enfant « débrouillarde » ne sont pas à minimiser. Elles comptent. Elles ont façonné qui vous êtes aujourd’hui. Et peut-être, comme moi, vous découvrirez que ce qui vous a fait le plus souffrir peut devenir ce qui vous permet le mieux d’aider les autres.

Les estrades de ma vie ne sont plus vides maintenant. Elles sont remplies d’enfants qui savent qu’ils peuvent poser leurs questions, et qui grandissent en sachant qu’on peut compter sur quelqu’un pour leur expliquer le monde.