Lettre d’opinion : Le système juridique face aux parents toxiques – une réalité complexe

Dans notre système judiciaire familial, une problématique délicate mais cruciale reste insuffisamment adressée : celle des parents présentant des comportements toxiques liés à des troubles de santé mentale. Alors que nos tribunaux s’efforcent d’équilibrer les droits parentaux et l’intérêt supérieur de l’enfant, force est de constater que cette équation devient particulièrement complexe face à ces situations.

Le droit fondamental à maintenir des relations avec ses enfants est un principe profondément ancré dans notre système juridique. Cette présomption favorable au maintien des liens familiaux repose sur l’idée que l’enfant bénéficie généralement du contact avec ses deux parents. Mais qu’en est-il lorsqu’un parent présente des comportements manifestement nuisibles, souvent liés à des troubles psychologiques non traités ou insuffisamment pris en compte?

Notre système judiciaire se trouve trop souvent démuni face à ces situations. L’évaluation objective de la toxicité relationnelle et de ses causes psychologiques exige des compétences spécialisées que peu de tribunaux possèdent. Les expertises psychologiques, quand elles sont ordonnées, restent ponctuelles et ne permettent pas toujours de saisir la dynamique complexe qui s’installe au quotidien.

Plus préoccupant encore, la présomption en faveur de la coparentalité peut conduire à minimiser les signaux d’alerte concernant l’état mental d’un parent. Les comportements manipulateurs, l’instabilité émotionnelle ou les tendances narcissiques sont parfois interprétés comme de simples manifestations du conflit parental plutôt que comme des indicateurs de troubles plus profonds nécessitant une intervention.

L’impact sur les enfants est pourtant considérable. Exposés à des comportements imprévisibles, à des projections psychologiques inadaptées ou à des manipulations émotionnelles, ils développent souvent des mécanismes d’adaptation qui compromettent leur propre développement psychologique. Le paradoxe est saisissant : en cherchant à préserver les droits du parent, le système peut involontairement sacrifier le bien-être psychique de l’enfant.

Une réforme de notre approche s’impose. Elle pourrait s’articuler autour de plusieurs axes :

Premièrement, intégrer systématiquement une évaluation psychologique approfondie dans les procédures familiales complexes, réalisée par des professionnels formés spécifiquement aux dynamiques toxiques et aux troubles de la personnalité.

Deuxièmement, établir des protocoles de suivi longitudinal permettant d’évaluer l’évolution des comportements parentaux dans le temps, au-delà des moments d’audience où certains parents parviennent à masquer leurs dysfonctionnements.

Troisièmement, développer des modèles d’intervention gradués, où l’exercice des droits parentaux serait conditionné à une démarche thérapeutique vérifiable lorsque des problématiques de santé mentale significatives sont identifiées.

Enfin, former l’ensemble des acteurs judiciaires à la reconnaissance des schémas relationnels toxiques et à leurs manifestations, souvent subtiles mais dévastatrices à long terme.

Notre société ne peut plus ignorer cette réalité : le droit d’être parent ne peut primer sur le droit de l’enfant à grandir dans un environnement psychologiquement sain. Reconnaître qu’un trouble mental non traité peut compromettre fondamentalement la capacité parentale n’est pas stigmatiser la maladie mentale, mais plutôt affirmer notre responsabilité collective envers les enfants.

Le temps est venu de faire évoluer notre cadre juridique pour qu’il intègre pleinement les connaissances contemporaines en psychologie du développement et en psychopathologie. Les enfants ne peuvent attendre que notre système soit prêt à affronter cette réalité inconfortable mais incontournable.